Dans la mythologie grecque, Tirésiasest le devin officiel de la ville de Thèbes, ville sacrée de la Grèce antique. Il connaît des choses que même Zeus,le roi de l’Olympe, ignore. Pour cette raison, il est d’une grande renommée, il est consulté pour dénouer les situations conflictuelles entre les dieux eux-mêmes et pour révéler les vérités cachées des destinées tragiques de ses contemporains. Tirésias devient aveugle, car punipar les Dieux de son ingérence dans leurs différends comme dans leurs secrets.Il n’est pas bon pour un simple mortel de côtoyer les Dieux même sur leur invitation. Et Tirésias va en faire les frais.

Les épreuves de Tirésias seprolongent dès lors qu’il rencontre dans la forêt deux serpents dont il interrompt l’accouplement à l’aide de son bâton. Aussitôt il est transformé en femme pour une durée de sept ans. A la 8° année, la même scène se reproduit, de nouveau il intervient et là il se retrouve dans la peau d’un homme pour unemême durée. Cette expérience lui vaudra d’être sollicité par Zeus et Héra pour les départager dans le différend qui les oppose quant à la répartition de lajouissance entre l’homme et la femme.

Tirésias donne à la femme neuf parts, quand l’homme n’en a qu’une. Héra contrariée, est furieuse, elle condamne à sontour, le pauvre Tirésias aux ténèbres éternelles. Zeus, que le point de vue de Tirésias a confirmé, adoucit la sanction de son épouse, et lui accorde une longue vie et le don de voyance.

Par son expérience alternée, d’être tantôt dans la peau d’un homme, tantôt dans la peau d’une femme, Tirésias a réussi l’intégration psychique du Masculin et du Féminin. Il a réalisé la réconciliation des contraires et retrouvé l’unité originelle de la psyché, qui est androgyne.

C’est un personnage qui a découvert le secret des Dieux, à savoir la réconciliation des contraires.

Le processus d’intégration des deux moitiés de la psyché est nommé individuation dans la psychologie des profondeurs de Jung. Il est donc plausible de considérer que le Prossessus d’individuation de Tirésias est abouti.

 Dans la culture dominante, l’usage approximatif des mots utilisés a généré une confusion entre mâle/femelle, homme/femme, masculinité/féminité, Masculin/Féminin. Pourtant, chacune de ces dualités correspond à des plans différents. Le Masculin et le Féminin sont les deux archétypes cosmiques, Père et Mère divins, à l’origine de la Création et sans lesquels, rien n’aurait été possible. Les autres appellations participent de l’arborescence de ces deux premiers. Ainsi mâle et femelle correspondent au plan biologique, homme et femme, au plan physique, et masculinité/féminité au plan psychologique .

Ce qui est uni au plan cosmique est divisé au plan physique. Dans le monde physique, celui des phénomènes, le Masculin a une existence distincte du Féminin : la psyché androgyne par nature fait l’expérience d’un corps sexué. Dans l’ignorance de cette réalité, l’homme et la femme s’identifient à leur sexe et à toutes les caractéristiques que la culture environnante leur attribue. Cette répartition des talents, des compétences et des possibilités est spartiate. Elle est à l’origine d’inégalités sociales injustifiées, de troubles psychiques, de conflits et d’incompréhensions entre les deux sexes.

Le mythe deTirésias apporte un nouvel éclairage quant à l'énigme de la différenciation des sexes. Le principe de la castration ne relève plus de la privation d'un sexe, mais de celle de la jouissance au bénéficie de la femme. À y réfléchir, cette hypothèse s'il elle est retenue , non seulement remet en cause la théorie du sexe manquant dont la femme pâtie depuis des siècles, mais réhabilite la puissance du Féminin qui concerne les hommes comme les femmes... à suivre.

Tirésias, vois avec les yeux de l’âme. Aveugle au monde des apparences, il porte son attention sur le monde intérieur, ce monde invisible dont l’inconscient relève et avec lui, toutes les forces obscures qui s’y activent. Il semble avisé des archétypes qui sont constellés dans la psyché des héros qui le consultent, comme Ulysse, Hercule, Œdipe… Avec ses mots à lui, il les avise des dangers encourus dès lors qu’ils sont non différenciés des courants d’énergie agissants de l’inconscient. Il les prévient des dangers de la toute-puissance encourue par l’inflation psychique du héros doté de pouvoirs surnaturels que les Dieux lui ont conférés par le biais de boucliers, sandales, glaives, arcs… Dès lors le héros grisé par le pouvoir magique de ses armes devient le jouet de divinités capricieuses et son sort en dépend. Voilà la tragédie humaine dont Tirésias a conscience : les archétypes ou forces de l’inconscient, que symbolisent les Dieux et les déesses, président aux destinées des hommes qui n’en sont pas différenciés.

Jung désigne par l’expression « homme total », celui dont le Processus d’individuation aboutit à une complétude entre le conscient et l’inconscient, gage de maturité psychoaffective et d’autonomie. Il est Sujet dans la situation et non l’Objet des forces inconscientes qui disposent de lui. Or le héros auquel Tirésias révèle la vérité n’est qu’une moitié psychique. En effet le héros est une synthèse de l’inconscient non humanisé et du conscient humain. Il n’est pas une totalité psychique. Ce n’est que dans le souvenir total de qui il est, qu’il peut se connaître. Les épreuves qu’il rencontre sont là pour cette raison. À défaut, il est victime de ses zones aveugles qui fonf les délices des Dieux.

Le souvenir total suppose le dialogue entre le conscient et l’inconscient ; la reconnaissance que dans la psyché humaine, l’archaïque côtoie le civilisé et qu’aucune quête de perfection ne peut en venir à bout ni dissimuler longtemps cette réalité.

Tirésias connaît le langage symbolique de l’inconscient puisque la déesse Athéna lui a purifié les oreilles pour qu’il entende le langage des oiseaux, celui de l’alchimiste qui sait transformé ce qui est vil en subtil.